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Questions d'éthique et de déontologie

Consigne Traiter un dilemme éthique que nous avons rencontré.

L'histoire d'Isa: un dilemme éthique
 

Cette histoire est inspirée de faits réels mais je les ai transformés par soucis de discrétion.

Description de la situation
 

Mon projet est de travailler comme hipporhérapeute. Au cours d’une séance à laquelle j’ai assisté comme observateur j’ai été confronté à ce que je vois aujourd’hui comme une leçon de vie. Une leçon d’humanité. J’ai été marqué, touché, ému. J’ai été heurté de plein fouet par une foule de questionnements. J’ai beau y penser. J’ai beau retourner les questions dans tous les sens, je ne trouve pas de réponse simple. J’imagine qu’il n’y en a pas et que tout est une question de point de vue.   

 

Son arrivée
 

Par soucis de discrétion, je vais l’appeler Isa. J’ai été bouleversé en la voyant. Isa est en situation de handicap physique lourd. Elle est arrivée à la ferme équestre avec une éducatrice qui poussait son fauteuil roulant. Pour être vraiment honnête, j’avais du mal à la regarder tant je me sentais touché, bousculé. Je dois avouer que je n’ai pas l’habitude.

Isa ne peut se lever toute seule et elle tient très difficilement debout. Quelqu’un l’a aidée à se lever et l’a tenue pour qu’elle se déplace. Ses jambes semblaient ne pas pouvoir la porter. Elle exprimait de la joie et de la douleur. Chaque pas me semblait être une conquête. A chaque instant je craignais la chute. Une chute fatale tant Isa me semblait fragile.

La séance

Mon incompréhension fut grande lorsque j’ai compris que Isa se dirigeait doucement, péniblement mais résolument vers le montoir.  Je me suis dit que je devais mal comprendre lorsque le thérapeute m’a demandé de l’aider à placer Isa sur le cheval.

Lorsqu’ils ont commencé à se déplacer, l’hippothérapeute, que je vais appeler Marc, tenait le cheval. Il avançait au pas. Marc ne me semblait pas complètement à l’aise. Il marchait d’un côté du cheval et moi de l’autre. Je ne suis pas certain que nous aurions véritablement pu la rattraper si elle avait commencé à glisser. Je n’osais même pas imaginer ce qui se passerait si ça arrivait. Je me suis demandé pourquoi Marc lui proposait un tel d’exercice. Il me semblait dangereux, inadapté, insensé même.

Je n’étais pas au bout de mes surprises. Tant son élocution était difficile je ne comprenais pas ce que Isa disait à Marc. Le cheval s’est arrêté. Marc lui a demandé si elle était vraiment certaine. Elle l’était.  Marc m’a demandé de m’écarter. Il a fait de même et Isa a commencé à se déplacer seule sur le cheval. Marc et moi nous regardions non sans inquiétude. A chaque mouvement, à chaque pas, à chaque balancement du cheval je voyais Isa bouger et j’imaginais la chute. Son équilibre était des plus instables. Je voyais cet être fragile. Je considérais la hauteur de l’équidé et je n’osais imaginer ce qu’une chute, même dans le sable, pourrait causer. Je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas ce qui se passait. J’étais en apnée. La scène me semblait irréelle. Je ne l’oublierais jamais.

Après la séance

Le départ comme l’arrivée d’Isa fut laborieux et pénible. Une fois Isa partie, je suis allé voir Marc. Il fallait que je comprenne.

 Je vais essayer de retranscrire notre échange dans ses grandes lignes, sous forme de dialogue :

  • Marc, je n’ai pas compris ce que tu as fait avec elle. A chaque pas j’ai eu peur qu’elle tombe.

  • Mais moi aussi, à chaque pas, à chaque mouvement.

  • Mais alors pourquoi tu l’as mise sur le cheval ?

  • Je ne l’ai mise dessus. Elle a demandé à aller sur le cheval.

  • Oui mais enfin. Tu te rends compte ? Elle était sur le cheval et en plus tu l’as laissée partir tout seule.

  • Je sais bien. En plus sa mère me l’a interdit.

  • Marc, je ne comprends pas. Je ne comprends vraiment pas.

  • C’est parce que tu ne connais pas toute l’histoire. Tu devrais voir les emails que Isa m’écrit après les séances. Je sais bien que quand tu la vois comme ça, ce n’est pas évident d’imaginer que dans ce corps habite une personne adulte, lucide et intelligente. Elle s’exprime très bien par écrit. Elle me dit qu’elle est consciente du risque qu’elle prend. Elle sait que ce n’est pas facile à gérer avec sa mère qui est contre ce qu’elle demande. Elle me dit aussi qu’elle est adulte et que c’est à elle de décider. Elle sait que c’est dangereux mais elle dit aussi que monter est tout pour elle.

  • Je comprends maintenant. Je comprends que ce n’est pas évident comme situation.

  • Tu as raison. Ce n’est vraiment pas facile. 

  

La question qui se pose est : A quel point j’ai le droit de priver l’autre de sa liberté pour le protéger ?

 

Une question de point de vue

 

J’ai essayé de me projeter dans la situation et de me mettre à la place de Marc, d’Isa mais également à la place de sa mère.

 

Le point de vue d’Isa

 

Du fait de son handicap, elle ne sera jamais vraiment complètement autonome et libre de ses actions. Il n’empêche que sur certains points elle pourrait l’être et elle le revendique. Dans un email qu’elle a envoyé à Marc elle lui disait qu’elle est bien consciente du risque mais qu’elle est adulte et que c’est à elle de décider. Elle revendique son droit à l’autodétermination et à mon sens, elle a raison.

 

Le point de vue de sa mère

 

J’ai une fille de 6 ans et il est évident que j’ai envie et le devoir de la protéger, de faire ce qu’il y a de mieux pour elle, de l’empêcher de se blesser. Les juristes appellent cela « agir en bon père de famille ». Moi je considère que c’est de l’amour, que c’est un instinct de protection, de survie et je pense que c’est absolument normal et naturel de vouloir protéger son enfant.

 

Je comprends la mère d’Isa qui ne veut pas qu’elle monte à cheval. Elle pourrait tomber et c’est même probable. Je l’ai vue en piste et parfois elle commence à pencher, à glisser doucement vers le côté. Il suffirait que le cheval prenne peur et qu’il fasse un écart pour qu’elle chute. Je comprends la mère d’Isa. Elle tient à protéger sa fille et il me semble qu’elle a raison.

 

Le point de vue de l’hippothérapeute

 

Si j’étais à la place de Marc je me sentirais pris entre deux feux et ma posture serait des plus délicates. Isa me semble avoir raison mais sa mère également.

 

Marc a deux options et peu importe laquelle il choisit, on peut lui reprocher son action. S’il laisse Isa monter à cheval toute seule, il risque d’y avoir une chute. Il devra répondre de l’accident. S’il l’empêche de monter, il prive un être humain de sa liberté. C’est un dilemme.

 

Mon point de vue

 

A mon sens, la mère d’Isa devrait respecter le choix de sa fille. Elle est adulte. Elle connait les risques et elle est prête à les assumer pleinement. Le fait qu’elle soit en situation de handicap, même lourd, ne devrait rien y changer. L’éducation devrait tendre vers l’autonomie et l’autodétermination. 

 

Par comparaison, si j’ai envie de rouler en moto et que ma mère n’est pas d’accord, je lui dirais que je serais prudent mais que je suis adulte et que c’est moi qui décide, pas elle. Si je veux fumer et que mes parents ne sont pas d’accord, je les comprends bien mais encore une fois, je suis adulte. Je suis leur enfant mais je ne suis plus un enfant. Il est évident qu’ils ne peuvent plus m’imposer leur point de vue, même s’il est bienveillant. Je suis adulte et je décide pour moi-même.

 

Pourquoi moi j’aurais ce droit et pas Isa ? Parce qu’elle est trop faible pour nous empêcher de la protéger ? Encore une fois je ressens un immense paradoxe et je trouve que c’est injuste. J’entends que c’est pour son bien mais ce n’est pas une excuse suffisante. Isa n’est pas d’accord et elle a le droit ne pas l’être.

 

 

Une question d’éthique

 

Je me suis demandé ce que je ferais à la place de Marc. A mon sens, il n’y a pas de réponse simple.  Nous sommes en présence de normes morales qui s’opposent. La norme sur laquelle repose la position de la mère d’Isa est le devoir de protéger son enfant. La norme sur laquelle repose mon point de vue et celui de Marc c’est qu’on ne peut priver quelqu’un de son droit à l’autodétermination.

 

Ce qui rend les choses encore un peu plus compliqués c’est que les deux positions peuvent être remises en question. D’un côté nous pourrions dire que le devoir de protéger son enfant ne tient pas car Isa n’est pas une enfant. Nous pourrions considérer que c’est une manière d’infantiliser une personne en situation de handicap et de la priver d’une part d’autonomie à laquelle elle pourrait aspirer. A cela il faut ajouter que l’hippothérapeute a le devoir éthique d’assurer la sécurité des bénéficiaires qu’il prend en charge.

 

De l’autre côté, on pourrait nous opposer que le droit à l’autodétermination n’est pas d’application lorsqu’une personne représente un danger pour elle-même ou pour les autres. Dans le cas présent, la demande d’Isa comporte un risque non négligeable. Une chute est probable mais peut-on pour autant la priver de son libre arbitre, de son droit à décider pour elle-même ?

 

A mon sens, la question reste entière.   

 

La morale dite déontologique considère qu’il faut respecter les normes et ce, peu importe la situation. Dans ce cas, le point de vue de la mère serait, sans discussion possible, de protéger son enfant peu importe les conséquences.

 

Le point de vue de l’hippothérapeute serait d’assurer la sécurité d’Isa car il doit respecter la déontologie de son métier. Le fait de ne pas tenir compte droit à l’autodétermination d’Isa passerait au second plan.

 

La morale dite conséquentialiste conisdère, au contraire, qu’il faut tenir compte de la situation particulière et agir selon ce qui aura le plus de conséquences positives. Il est probable que pour la mère cela ne changerait rien. Ce qui lui importe c’est d’assurer la sécurité de sa fille, même si ce n’est pas une enfant. C’est vrai que la chute est probable. Considérer que sa sécurité physique est plus importante que son droit à l’autodétermination est un point de vue que je peux comprendre.

 

La position de l’hippothérapeute pourrait changer en adoptant le point de vue conséquencialiste. Dans ce cas, il devrait s’interroger sur ce qui est plus positif : assurer la sécurité du bénéficiaire ou permettre à un adulte de pouvoir exercer son libre arbitre. Cela est une question de valeurs.

 

Résolution possible

 

Il y a plusieurs pistes.

 

La première est de faire comme Marc. Il respecte la décision d’Isa malgré le risque. Je pense que c’est courageux de sa part car le jour où il y aura un accident il devra répondre de ses actes. Il n’aura pas respecté la déontologie du métier. Il aura exposé quelqu’un à un risque prévisible et il est possible qu’il perde son emploi.

 

La deuxième est de se ranger du côté de sa mère et ne s’exposer à aucun risque. Je pense que ce serait injuste mais compréhensible.

 

La troisième et c’est celle que je choisirais c’est de considérer que malgré mes valeurs de liberté, je n’ai aucune légitimité pour trancher. Je me poserais en médiateur et j’essaierais de concilier les points de vue. Je pense qu’Isa peut monter mais que certaines mesures de sécurité supplémentaires devraient être prises. Il serait de lui faire faire une selle adaptée à sa morphologie et à sa situation. Une autre serait de lui procurer un airbag. Il s’agit d’un dispositif de plus en plus utilisé en équitation et qui permet d’amortir les chutes. Ce ne serait pas une solution parfaite mais elle permettrait de contenter Isa et de rassurer sa mère.

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